HADOPI-raté !
Je découvre ce matin vos billets du soir sur la censure d'HADOPI par le Conseil Constitutionnel (décision, PDF), et, comme Maître Eolas, je me marre comme une baleine :
[...] tout le dispositif de sanction aboutissant à la suspension de l'abonnement est annulé par le Conseil constitutionnel. Tout part à la poubelle.
Donc, oui, Christine Albanel et derrière elle tout le gouvernement a battu le tambour pour faire voter au pas militaire une loi contraire à la Constitution. Vous pouvez vous marrer comme des baleines.
Lionel Tardy, rare député UMP non godillot, dit dans une interview assassine chez Marianne que « le ministère n'a pas fait son boulot sur la Hadopi !». Notez qu'il appelle Christine Albanel à tenir parole, c'est-à-dire à démissionner :
Les conclusions du Conseil constitutionnel ne font qu'affirmer le B.A.BA de la justice : je l'ai répété pendant des heures en séance, je n'ai pas été écouté et on m'a reproché d'avoir voté contre ce texte. Résultat : nous avons perdu un mois pour un texte qui n'apporte rien à la création !Ce texte n'était pas verrouillé : toutes les cinq minutes, les députés ou le gouvernement découvraient que quelque chose ne fonctionnait pas. Nous avons découvert en pleine séance le problème de la double peine et des personnes qui se voyaient couper le téléphone et la télé en coupant Internet, du fait des offres groupées : c'est du n'importe quoi.
Si le boulot avait été bien fait, il n'y aurait pas eu tant d'approximations. Et ce travail, c'était au cabinet du ministère de la Culture de le faire : la responsabilité du ministère est prouvée ! Ils ont dit qu'ils assumaient leurs responsabilités : il est temps qu'ils tiennent parole !
Pendant ce temps, Anéfé se félicite :
Christine Albanel se félicite que le principe d’un dispositif pédagogique de prévention du piratage ait été validé par le Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une avancée capitale dans la lutte qu’elle entend continuer à mener contre le pillage des droits des créateurs et en faveur d’un Internet civilisé.
Elle se félicitera sans doute aussi des résultats d'une étude britannique qui vient tout juste de sortir (heureux hasard) et qui montre que les lettres d'avertissement envoyées aux internautes sont peu dissuasives :
L'an dernier, l'enquête britannique sur le divertissement numérique était parvenu à une conclusion de choc : 70% des gens partageant des fichiers en pair-à-pair changeraient leurs habitudes de piratage s'ils recevaient une lettre de leur fournisseur d'accès. Ce fut de la musique aux oreilles des studios d'enregistrement, mais ça ne pouvait pas durer ; cette année, ce chiffre de 70% est tombé à 33%.
L'étude 2009 montre que les partageurs de fichiers ne craignent plus les lettres d'avertissement. Le changement est peut-être lié aux propos officieux du gouvernement britannique disant que la déconnection des récidivistes n'arrivera pas, supprimant ainsi la menace implicite contenue dans ces lettres.
Je pense que le gouvernement peut revoir ses chiffres, vu qu'il s'est basé sur cette étude de 2008 désormais obsolète dans ses observations au Conseil Constitutionnel.
Que croyez-vous qu'il arrivera au côté « pédagogique » de la loi création et internet et des menaces d'HADOPI, lorsque le français moyen aura compris qu'il ne risque matériellement rien ? Outre les nombreuses zones d'ombre techniques qui la rendent coûteuse sinon inapplicable, HADOPI n'a pas perdu que son côté Big Brother anticonstitutionnel. Elle a aussi, à mon avis, totalement perdu son côté éducatif. Or c'était, à mon avis, le seul « bénéfice » de cette loi, dont on a l'assurance désormais que même retoquée et mise en pratique (si c'est possible), elle sera totalement inefficace pour les créateurs. Ce qui me fait penser ça, c'est l'analyse de Maître Eolas, In Memoriam HADOPI, dans laquelle il conclue que :
[L]a [Commission de Protection des Droits] existera bel et bien mais sera cantonnée à un travail d'avertissement sans frais (les mises en garde par courrier existent toujours, tout comme l'obligation de surveillance de sa ligne, mais elles ne peuvent aboutir à des sanctions), de filtrage et de préparation des dossiers pour l'autorité judiciaire, dans le but, et c'est là qu'on voit que le Conseil constitutionnel a le sens de l'humour, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie.Bref la machine à punir 10.000 pirates par jour devient la machine à s'assurer qu'on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l'enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant.
On n'avait pas vu un tel succès législatif depuis la promulgation-abrogation du Contrat Première Embauche en 2006.
Traduction : seuls les fraudeurs acharnés risqueront éventuellement de se voir présenter à la justice. Or ce sont précisément ceux-là qui seront les premiers à contourner, le plus facilement du monde, les mesures techniques de surveillance. Et ce sont aussi les mêmes qui, quoi qu'on fasse, ne donneront jamais un centime pour la création. Cette loi, dont il faut anéfé rendre à César ce qui appartient à Denis Olivennes, est une colossale bouffonnerie.
Il reste à espérer qu'un prochain remaniement ministériel nous débarrasse de Christine Albanel qui n'a pas l'air de vouloir honorer ses promesses de démission, que Frédéric Lefèbvre se trouve d'autres os à ronger et que Nicolas Sarkozy profite passivement de la décision du Conseil Constitutionnel pour s'éviter une nouvelle humiliation vis-à-vis de l'Europe. (Ou alors, parce que dès fois on se dit que ce n'est pas un cauchemar mais la réalité, il va placer Lefèbvre ou Allègre au ministère de la culture.)
Et l'on se félicitera de la position du Conseil sur la place qu'occupe désormais l'accès à internet dans la vie quotidienne, ainsi que le rappel du principe de la présomption d'innocence.
Un peu de lecture sur le sujet :
Daniel Glazman : HADOPI c'est fini
Tristan Nitot : HADOPI dézinguée (avec trois douzaines de liens, pas la peine de faire le boulot, Tristan est toujours là pour ça, merci Tristan ;-)
Jules de Diner's Room : La censure de la loi Hadopi par le Conseil constitutionnel
Et un joli dessin de François Cointe : avec Anéfé qui dit « C'est maintenant qu'on va voir si un pare-feu Open Office protège du ridicule… »
Un autre dessin de circonstance par Snut, HADOPI : Albanel subit la riposte graduée.